La circulaire Linard est un document confidentiel qui circula au sein de l’état-major et des commandants des régions militaires en août 1918.
Elle définit l’attitude à adopter vis-à-vis des troupes afro-américaines placées sous commandement français.
Ce qui n’était au départ qu’une note confidentielle (probablement inspirée par les Américains) destinée au bureau franco-américain de l’état-major des  armées fut répercuté par le chef de ce bureau, le général Vidalon, dans l’ensemble des régions militaires (ainsi qu’aux gouverneurs militaires de Lyon et de Paris) le 12 août 1918.
Quelques jours plus tard, les 23 exemplaires diffusés sont repris par le général Vidalon et brûlés (sauf l’exemplaire directement remis à Clémenceau et destiné au gouverneur militaire de Paris).
C’est bien évidemment l’état d’esprit exprimé dans cette circulaire qui a inspiré l’éviction d’Eugène Bullard de l’aviation française en novembre 1917 (à la demande des autorités américaines).
Elle permet, par déduction, d’imaginer ce que l’état-major français, ou du moins une partie de l’état-major pensait de ses propres troupes coloniales : une vision qu’il était évidemment impossible d’exprimer par écrit.
La circulaire sera dénoncée par le député Blaise Diagne dans une lettre du 16 novembre 1918 adressée au ministre de la Guerre.
Le député de la Guadeloupe Achille René-Boisneuf brandit la circulaire à l’assemblée nationale le 25 juillet 1919 et en donne lecture. Une résolution est immédiatement adoptée, qui condamne le racisme.

Le texte de la circulaire Linard

Mission militaire française près l’Armée Américaine
7 août 1918
Au sujet des troupes noires américaines
I. Il importe que les officiers français appelés à exercer un commandement sur des troupes noires américaines, ou à vivre à leur contact, aient une notion exacte de la situation des nègres aux États-Unis. Les considérations exposées dans la note suivante devraient donc leur être communiquées, et il y a un intérêt considérable à ce qu’elles soient connues et largement diffusées ; il appartiendra même aux autorités militaires françaises de renseigner à ce sujet par l’intermédiaire des autorités civiles, les populations françaises des cantonnements de troupes américaines de couleur.
II. Le point de vue américain sur la « question nègre » peut paraître discutable à bien des esprits français. Mais il ne nous appartient pas à nous Français de discuter ce que certains appellent un « préjugé ». L’opinion américaine est unanime sur la « question noire » et n’admettrait pas la discussion.
Le nombre élevé de nègres aux États-Unis (15 millions environ) créerait pour la race blanche de la République un danger de dégénérescence si une séparation inexorable n’était faite entre noirs et blancs.
Comme ce danger n’existe pas pour la race française, le public français s’est habitué à traiter familièrement le « noir », et à être très indulgent à son égard.
Cette indulgence et cette familiarité blessent profondément les Américains. Ils les considèrent comme une atteinte à leurs dogmes nationaux. Ils craignent que le contact des Français n’inspire aux noirs américains des prétentions qu’ils considèrent comme intolérables. Il est indispensable que tous les efforts soient faits pour éviter d’indisposer profondément l’opinion américaine.
Bien que citoyen des États-Unis, l’homme de couleur est considéré par l’Américain blanc comme un être inférieur avec lequel on ne peut avoir que des relations d’affaires ou de service. On lui reproche une certaine inintelligence, son indiscrétion, son manque de conscience civique ou professionnelle, sa familiarité.
Les vices du nègre sont un danger constant pour l’Américain, qui doit les réprimer sévèrement. Par exemple, les troupes noires américaines en France ont donné lieu à elles seules à autant de plaintes pour tentatives de viol, que tout le reste de l’armée, et cependant on ne nous a envoyé comme soldats qu’une élite au point de vue physique et moral, car le déchet à l’incorporation a été énorme.
Conclusion
I. Il faut éviter toute intimité trop grande d’officiers français avec des officiers noirs, avec lesquels on peut être correct et aimable, mais qu’on ne peut traiter sur le même pied que des officiers blancs américains, sans blesser profondément ces derniers. Il ne faut pas partager leur table et éviter le serrement de main et les conversations ou fréquentations en dehors du service.
II. Il ne faut pas vanter d’une manière exagérée les troupes noires américaines surtout devant les Américains. Reconnaître leurs qualités et leurs services, mais en termes modérés conformes à la stricte réalité.
III. Tâcher d’obtenir des populations des cantonnements qu’elles ne gâtent pas les nègres. Les Américains sont indignés de toute intimité publique de femme blanche avec des noirs. Ils ont élevé récemment de véhémentes protestations contre la gravure de la « Vie Parisienne » intitulée « L’enfant du dessert » représentant une femme en cabinet particulier avec un nègre. Les familiarités des blanches avec les noirs sont du reste profondément regrettées de nos coloniaux expérimentés, qui y voient une perte considérable du prestige de la race blanche. L’autorité militaire ne peut intervenir directement dans cette question, mais elle peut influer sur les populations par les autorités civiles.
Linard