Wafin.be: Pourquoi l'intitulé Ahmed ben Ahmed, Dit " Tirailleur Belgique "?
Alexandre GOFFIN : Ce personnage est réellement un tirailleur marocain, qui a combattu à Gembloux et qui a survécu à la guerre … Après son retour à son douar au Maroc, les villageois l'ont surnommé " Tirailleur Belgique " …
Wafin.be: Une petite présentation d'Alxandre Goffin !
Alexandre GOFFIN : Je suis de nationalité belge, mais d'origine étrangère (d'origine Bretagne), j'ai grandi à Schaerbeek, où j'ai découvert mon premier " marocain " à l'âge de 16 ans, c'était même un exotique, on le protégeait un peu … Puis on a déménagé à Dilbeek, à l'âge de 18 ans je me suis engagé au régiment para commandos, parce que j'avais un peu la vision de Saint-Exupéry … au fait, j'avait été marqué dans mon adolescence par l'image des Gi's sur le toit de l'ambassade de Saigon au Vietnam et je voulais faire la même chose qu'eux ! J'ai eu une carrière d'une dizaine d'années là, puis j'ai fait une multitude de métiers, notamment entraîneur de l'équipe de foot au Football Club Atlas et l'Etoile Marocaine.
A l'époque j'avais écrit un livre sur mes collègues assassinés à Kigali au Rwanda ; Un jour, un jeune du club m'a dit lors d'une discussion houleuse (à propos de disparitions de ballons) que ce n'était pas vrai qu'ils soient des voleurs, car les marocains ne le sont pas tous, d'ailleurs " mon grand père est venu se battre à Gembloux en 1940). J'étais très surpris, et je me disais ce que signifiait cette fabulation ! D'ailleurs, le jeune en question a juste transposé ce qu'il a appris concernant Gembloux. En quittant le Football Club Atlas, j'ai mis ça de côté … Jusqu'à jour où j'ai été piqué au vif par ma mise à l'écart de la part de l'Etat Major belge suite à la publication de mon livre sur la mort des dix paras belges à Kigali. Ce jour là, je me suis décidé donc à réécrire un bouquin, et j'ai pensé à cette histoire de marocains à Gembloux. Puis j'ai eu le déclique en visitant la nécropole de Gembloux, qui est très bien entretenue, contrairement à ce qu'on a pu écrire dans certains médias, et je suis allé voir le Colonnel Noel qui au fait le responsable du musée de Chastres, et qui a eu une patience extraordinaire avec moi ….Il faut savoir qu'avant sa publication, il y'a eu hit manuscrits, ce qui est quand même énorme, corrigés par le Colonel Nollet, un ancien tirailleurs marocain, et par le capitaine Brin de Jean.
Wafin.be: Les "tirailleurs marocains" était apparemment une appellation générique !
Alexandre GOFFIN : Justement, " tirailleur marocain " n'a aucune signification avec la nationalité marocaine, la première division était composée de 60 % de marocains, en tous les cas de gens issus du royaume Chérifien, parmi ces 60 %, 70 % d'entre eux étaient berbères, mais il y'avait 40 % de français. Quand j'ai interrogé les deux tirailleurs marocains " français ", ils insistaient pour me dire qu'ils n'étaient pas des soldats français, mais des tirailleurs marocains. Donc, le terme " tirailleurs marocains " a la même signification que " para commando " ou autres, c'est la dénomination des gens qui faisaient partie de la division 1 ; puisqu'il y'avait aussi des Gourbis, etc.
Wafin.be: Comment cette première division marocaine s'est retrouvée à Gembloux ?
Alexandre GOFFIN : C'était préparé à l'avance, c'est prévu dans les organigrammes de déploiement de l'armée française en Belgique, et si on les met sur cet axe de Gembloux, c'est que c'est l'une des rares divisions professionnelles de l'armée française. Il faut savoir que les belges ont fait à l'époque une mobilisation de 600.000 hommes, ce qui est absolument hallucinant quand on voit la proportion du pays, dont 450.000 qui n'étaient pas des professionnels, mais qui étaient des appelés. C'étaient d'ailleurs assez aberrant, puisqu'il y'avait des gens qui allaient à la caserne à 08h00 pour revenir travailler dans leur champ l'après midi !
Wafin.be: Qu'est ce que vous avez découvert lors de vos investigations !?
Alexandre GOFFIN : Vous savez, j'avais personnellement des préjugés vis-à-vis des marocains, et j'estime que les préjugés ne peuvent être combattu qu'à partir du moment qu'on se reconnaît soi-même comme quelqu'un d'imparfait … Quand j'ai commencé à travailler sur le sujet, c'était très difficile, les rares documents officiels sont à Vincennes à Paris, à l'époque en plus je n'avais pas beaucoup de moyens financiers. Donc, à part le Musée de Chastres et le colonel Nollet, je suis allé au centre historique de la seconde guerre mondiale, qui se trouve à Bruxelles, et là je n'ai rien trouvé sauf quelques rares photos. Ma chance était de pouvoir rencontrer le colonel Nollet, un français vivant en Belgique, et le capitaine Brin de Jean, c'est grâce à eux que j'ai commencé à comprendre ce qui s'est réellement passé. D'ailleurs, il faut savoir qu'il y'a une particularité dans le livre, c'est que toutes les conversations des tirailleurs marocains sont en arabe, et ne sont pas traduite en dessous, elles sont traduites dans le texte ; et c'est grâce à Nollet qui était parfaitement bilingue !
J'ai commencé surtout à comprendre comment se faisait-il qu'une division marocaine pouvait être constituée et de soldats français et de soldats issus du Royaume Chérifien, parce qu'en général les bataillons issus des colonies françaises étaient tous des sénégalais, à part les officiers qui étaient français ; dans cette division marocaine, on avait des soldats marocains, des soldats français, des sous officiers français, des sous officiers marocains, des officiers français et très peu d'officiers marocains. Il faut dire que le Maroc, comme la France, ont eu la chance d'avoir un personnage comme Lyautey, parce que si on écoutait ce que disait ce maréchal, on n'aurait plus eu de guerre aujourd'hui. C'est le seul occidental, à part Laurence d'Arabie, qui disait il faut que les gens chez qui nous allons doivent devenir nos partenaires de demain. Il a institué ce qu'on appelle l'école coloniale, indigène, où les officiers français étaient obligé d'apprendre l'arabe, et où la discipline au sein de la division marocaine -et c'est un fait très rare- n'est pas basée sur les lois françaises mais sur le Coran.
Wafin.be: Concrètement, comment les marocains se sont retrouvés en Belgique ?
Alexandre GOFFIN : On avait la mobilisation générale entre 1939-1940 dans la France métropolitaine et les colonies, la formation de divisions, dont certaines sont formées d'amateurs (composée de villageois), mais il y'avait aussi des divisions professionnelles. Les marocains s'engageaient dans la première division marocaine, qui était professionnelle ? Pour quatre raisons essentielles :
- Parce que c'était la misère, on a souvent fait croire que l'enrôlement se faisait de force, avec les sources que j'ai eu ce n'était pas le cas pour les marocains, contrairement aux algériens et sénégalais. Donc, en s'engageant dans l'armée, il y'avait une ouche en moins à nourrir et des entrées sûres.
- Parce qu'il y'a une structure qui est installée dans les régions où se trouve l'armée française, ce qui facilitait le recrutement de soldats locaux pour faire carrière dans l'armé. La plupart des soldats qui sont venus pour combattre en Europe étaient des engagés depuis longtemps, au minimum pour quatre ans. Il y'avait des gens qui étaient venus aux portes de la Belgique tout en ayant été sis ou huit ans au sein de l'armée, ce sont des professionnels, des combattants, et des gens extrêmement bien disciplinés !
- Suite à l'appel du roi du Maroc de l'époque, les représentant locaux font le tour des villages, et demandent à ce que les gens s'engagent au sein de l'armée française pour aller combattre en Europe.
- La quatrième raison est moins importante, mais elle est significative : c'est que ce sont des gens issus de peuplades guerrières d'origine souvent berbère, et donc c'est l'attrait de l'uniforme.
Wafin.be: Ces soldats marocains étaient conscients des enjeux idéologiques de la guerre (fascisme, les Nazis, la démocratie …) ?
Alexandre GOFFIN : Je ne vais pas jusqu'à dire que ça leur importait peu, mais je dirai que ce sont des professionnels, il n'y a jamais de mauvais soldat (ce sont les officiers qui le sont !). Si au bout d'un an, deux ans … les arabes, berbères ou membres de bataillons de colonies étaient mal considéré, il y'aurait eu des désertions ! Sachez qu'il n'y a pas eu un seul déserteur pendant toute la guerre, alors qu'il y'a eu un million de français qui désertent ou se rendent … Surtout que la société française ne voulait pas la guerre, comme d'autres sociétés, à part la société allemande ! Donc, les soldats marocains combattaient parce qu'ils étaient des professionnels, ils ont répondu à l'appel de leur roi qui appelait à combattre avec les français, pour les français ; ce sont des personnes illettrés et il n'y a pas de honte à cela, des gens à qui vous pouvais parler de démocratie ils n'auraient pas compris grand-chose … La notion de démocratie ils ne connaissaient pas, peut-être la notion de liberté !
Wafin.be: Militairement, c'est quoi le secret de la résistance des marocains, et de leur succès retentissant, quoiqu'ils se sont retirer à la fin ?
Alexandre GOFFIN : Il y'a trois raisons fondamentales : la première, et il faut rendre hommage à l'avant-garde de la première division marocaine, composée à 100 % de soldats français, qui est en fait la brigade de combat de chars du Général Prioux, qui va en avant et qui va bloquer pendant à peu près 48 heures, avec des chars SOMUA (de marque Renault), et qui se font tous massacrés un peu partout. Ce qui est intéressant à savoir, c'est que la quatrième division de Panzer, celle que les marocains ont su ralentir ou bloquer durant 48 heures, à défaut de les repousser, donc cette division -et contrairement à ce que beaucoup de personnes croient encore maintenant- est la seule qui est professionnelle au sein de l'armée allemande. L'armée allemande était composée à 80 % de militaires non professionnels, mais les allemands étaient sûrs que la guerre était juste ! Et ils avaient un Etat Major fabuleux … Les allemands fonçaient en bloc, avec leurs chars, avec l'appui aérien des avions de type STUKA, qui en fait font très peu de dégâts mais qui causent beaucoup de séquelles psychologiques (avec leurs sirènes qui sifflent quand les avions piquent pour bombarder en causant une panique énorme). Donc, la brigade de Prioux s'est sacrifiée pour permettre aux marocains d'avancer et de préparer leur défense … Et donc, quand on dit qu'on els a envoyé en première ligne pour servir de chaire à canon je conteste cela, parce que sans le sacrifice de la brigade de Prioux, ils n'auraient peut-être jamais pu résister autant. Autrement dit, il n'y avait plus de première ligne. Les allemands avançaient tellement vite, que la première ligne était celle que les allemands décident !
La deuxième chance des marocains, c'est le fossé existant naturellement à Gembloux : ils avaient un fossé anti-chars naturel … Ce qui signifiait un point faible pour les chars, qui ne résistent pas dès que le bas du devant du char est accessible aux tirs des petits canons, car les chars devaient monter …
La troisième raison, c'est la confiance réciproque entre tous les éléments composants cette division marocaine composée de deux mille marocains. Après le retrait des marocains, il y'en a 500 soldats qui ont tenté une contre attaque à la baïonnette à Villers la ville … Vous ne pouvez avoir une formation de combat qui se retourne pour attaquer des chars à la baïonnette que si celle-ci est disciplinée, et qu'elle fait confiance aveugle dans le système de commandement. C'est ce qui va permettre, structurellement, aux marocains de tenir le coup, en plus du fait qu'ils sont des combattants formidables avec une volonté sans équivoque ! Vous vous rendez compte qu'ils se mettaient en group, sur le dos, pour former un seul tir avec leurs fusils pour tirer sur les avions, et ils ont réussis à en abattre … ce qui est quand même incroyable.
La retraite des marocains est fabuleuse, elle s'est fait dans l'ordre, par groupes …
Wafin.be: Combien il y'a eu de morts marocains ?
Alexandre GOFFIN : Vous savez, les spéculations vont bon train, mais vu qu'en 16 jours de guerre, entre le 10 Mai et le 26 Mai 1940, il y'a eu 6.000 morts au sein de l'armée belge, faites le calcul (diviser par 16) … je crois que le chiffre des marocains tombés à Gembloux devrait avoisiner quelques centaines, ce qui est énorme pour deux jours et deux nuits (du 13 au 14 Mai, puis du 14 au 15 Mai 1940, puis le retrait de la nuit du 15 au 16 Mai). Ils auraient pu continuer la résistance et ne pas se retirer, mais ils se seraient fait massacrer …
Wafin.be: Un dernier mot à propos de cette bataille et de la participation des marocains …
Alexandre GOFFIN : Dès 1945, il y'a toujours eu, presque chaque année, des commémorations à la mémoire des soldats marocains tombés à Gembloux. Malheureusement, ils ont été oubliés par les officiels ! D'abord par l'état marocain qui ne les reconnais pas comme soldats, puis par l'armée française qui leur consacre une pension de misère, qui n'a jamais été indexée, et qui souvent est détournée, pas remise au bénéficiaire … Ces soldats étaient courageux, et j'ai toujours dit que " Le courage n'a rien à voir avec la race, la religion ou la nationalité " …J'ai écrit ce livre pour que le militant de l'extrême droite ne vote plus pour les partis fascistes, et que le jeune adolescent des quartiers difficiles n'insulte plus la vieille dame qui habite sa rue !
http://www.wafin.be/interview/goffin.phtml
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